mercredi 13 mai 2020

Des changements apparus à la faveur de cette pandémie

(Traduction avec l’accord des auteurs du billet publié sur le site Sacred Design Lab en mai 2020, à l’adresse : https://mailchi.mp/mail/internet-of-meaning-4676757?fbclid=IwAR10NenNa6xqSu1CPhaII5rU0BhPaidWx84xSXV7-RQWowcxWEXWorNZPd4)

Un article de Sacred Design Lab 


(Traduction Pascale Renaud-Grosbras)



Chers amis,
En dépit de la dévastation que nous connaissons actuellement, le Covid permet de mettre à jour certaines choses, radicalement. Il révèle la douleur de la solitude et de l’isolement. Il révèle combien la plupart des gens désirent se concentrer sur les choses qui comptent vraiment. Enfin, il favorise une incroyable créativité et une grande résilience. 

Quant à nous, nous voyons cinq grands changements survenus dans le paysage religieux et spirituel à la faveur de cette pandémie.

1. La recherche de sens prend une place primordiale. Des dizaines de millions de gens dans le monde doivent rester confinés à la maison pour protéger les plus vulnérables. Les plus jeunes font le choix de restreindre leurs déplacements pour protéger leurs aînés. Tous les jours en ce moment, les gens participent volontairement à ce qui peut être décrit comme la plus grande manifestation de solidarité jamais vécue dans l’histoire du monde.

Tous les jours, les habitants des villes du monde entier se tiennent aux coins des rues et sur leurs balcons pour montrer leur reconnaissance envers les soignants. Les voisins s’écrivent des messages de réconfort par terre, sur les trottoirs. De nouveaux rituels de soin d’autrui et de reconnaissance sont créés pour donner du sens et de la cohérence aux incertitudes que nous partageons.


Chaque jour, le stress, la peur, l’isolement et le chamboulement actuel mettent en lumière ce qui importe le plus. C’est parfois difficile à regarder en face. La dévastation que représentent l’inégalité économique et l’accès inégalitaire aux soins de santé est partout évidente. En même temps, nous réfléchissons à ce qui compte vraiment pour nous, à ceux que nous aimons et à ceux qui nous aiment, aux communautés auxquelles nous appartenons et à ce que nous voulons devenir pendant le temps qui nous reste à vivre. Ce sont des questions essentielles dans cette vie, et nous nous les posons actuellement à grande échelle. 





2. Les moyens d’exercice habituels de la religion disparaissent. Le Vendredi Saint, des musiciens en combinaison de protection ont joué au milieu des ruines de Notre Dame pendant que l’archevêque de Paris disait la messe et élevait l’hostie, mais aucun paroissien n’était présent et ceux qui regardaient n’ont pas pu participer à la communion. Le fil de la vie sacramentelle est cassé.

Ailleurs, des rabbins se tiennent, seuls, au milieu de leurs synagogues pour donner leur méditation via les médias sociaux. Sans les communautés et sans les échanges liturgiques qui mêlent le temps, l’espace, le texte et la musique, des dimensions vitales du sens sont absentes. Les récipients pour la quête restent vides. Les lieux de culte sont fermés.

La désertion des lieux de culte et les communautés qui vont s’amenuisant n’ont pas attendu le Covid. Déjà affaiblies par des années de déclin financier, presque toutes les confessions s’efforcent de trouver des moyens pour continuer à communiquer leur message. Les dogmes, les hiérarchies et les liturgies qui soutiennent l’infrastructure religieuse au travers du temps ont du mal à s’adapter à des changements rapides. Le Covid n’a pas créé ces conditions, mais les bouleversements dans le tissu social et les dommages économiques ne feront qu’accélérer les dégâts subis par les fondations précaires de ces systèmes religieux.

3. La communauté peut se vivre chez soi. Le dimanche après-midi, des chorales virtuelles se réunissent pour chanter. Des chefs de chœur à Brooklyn (New York) proposent des mélodies à chanter ensemble, chacun confiné chez soi, avec des centaines d’autres partout dans le monde. 
Des jeunes qui ont partagé des camps d’été se retrouvent pour partager des repas de shabbat, chacun chez soi. Des collègues échangent des idées pour prendre soin de soi.

Ces efforts, et bien d’autres, sont locaux (et parfois si locaux qu’il n’y a guère qu’une personne localement chez ceux qui vivent seuls) mais ils sont aussi transversaux et ils mettent en lien des gens par-delà des distances importantes. Libérés des limitations des rencontres en personne, nous apprenons que des communautés pleines de sens peuvent s’implanter chez soi. 




4. Le leadership religieux se dé-professionnalise. Avec la sécularisation croissante de nos sociétés, des projets ont été entrepris par des jeunes (ceux que l’on appelle les Millenials et ceux de la Génération Z) pour créer des communautés nouvelles en remplissant le vide laissé par les religions établies et autres institutions sociales. Ces communautés, le plus souvent, existent sans la bénédiction de ces religions et institutions. Peu de leurs leaders ont été ordonnés ou reconnus ou même formés.

Le Covid favorise l’arrivée de nouveaux leaders qui créent de nouvelles formes de communauté et proposent des pratiques spirituelles : tout comme des gens ordinaires proposent des séances de méditation sur Instagram Live, des laïcs proposent des temps de culte quotidiens et des membres de familles en deuil conduisent des cérémonies d’obsèques. Cette dé-professionnalisation s’accompagne d’une évolution des rôles au moment où les valeurs du monde du travail semblent s’adoucir, où des chefs d’entreprise envoient des lettres pastorales et où n’importe qui, muni d’un appareil numérique, peut créer une communauté.

5. Les relations virtuelles peuvent s’avérer étonnamment pleines de sens. Juste après l’édiction des consignes de confinement, Sacred Design Lab a commencé à proposer des temps de culte « familiaux » chaque semaine. Cinquante personnes de tous les horizons, de religions différentes, de tout âge, dans des configurations familiales différentes et différents niveaux d’accès à internet ont commencé à partager des temps interreligieux d’une trentaine de minutes avec de la musique, des textes et des moments de partage en petits groupes. La plupart ne s’étaient jamais rencontrés dans la vraie vie. Ceux qui n’avaient jamais utilisé Zoom ni partagé dans un petit groupe ont été surpris de découvrir la profondeur des échanges et combien la présence peut survivre dans un espace virtuel.

Le Covid est en train d’apprendre à des gens toujours plus nombreux que le lien virtuel peut avoir du sens lorsque nous prenons soin de mettre en place des repères dans le temps et dans les intentions énoncées, lorsque nous demandons aux gens de se pencher sur des questions importantes en ce moment. Le monde religieux traditionnel a été particulièrement lent à s’adapter aux environnements virtuels, mais beaucoup de ce que les humains y ont appris peut s’y développer : comment donner forme à des questions profondes, comment créer des environnements qui favorisent la réflexion et comment inviter au partage.

Le Covid va sans doute accélérer l’affaiblissement des institutions religieuses traditionnelles et des pratiques sur lesquelles les générations précédentes se sont appuyées pour y trouver des réponses. Mais le virus met également au jour de nouvelles façons de trouver du sens et de se rattacher à une communauté au cœur de notre monde blessé.

Que cela nous soit donné !

Sue