(Traduction avec l’accord des auteurs du billet publié sur le site
Sacred Design Lab en mai 2020, à l’adresse :
https://mailchi.mp/mail/internet-of-meaning-4676757?fbclid=IwAR10NenNa6xqSu1CPhaII5rU0BhPaidWx84xSXV7-RQWowcxWEXWorNZPd4)
Un article de Sacred Design Lab
(Traduction Pascale Renaud-Grosbras)
Chers amis,
En dépit de la
dévastation que nous connaissons actuellement, le Covid permet de
mettre à jour certaines choses, radicalement. Il révèle la douleur
de la solitude et de l’isolement. Il révèle combien la plupart
des gens désirent se concentrer sur les choses qui comptent
vraiment. Enfin, il favorise une incroyable créativité et une
grande résilience.
Quant à nous, nous voyons cinq grands
changements survenus dans le paysage religieux et spirituel à la
faveur de cette pandémie.
1. La recherche de
sens prend une place primordiale. Des dizaines de millions de gens
dans le monde doivent rester confinés à la maison pour protéger
les plus vulnérables. Les plus jeunes font le choix de restreindre
leurs déplacements pour protéger leurs aînés. Tous les jours en
ce moment, les gens participent volontairement à ce qui peut être
décrit comme la plus grande manifestation de solidarité jamais
vécue dans l’histoire du monde.
Tous les jours, les habitants des villes du monde entier se tiennent aux coins des rues et sur leurs balcons pour montrer leur reconnaissance envers les soignants. Les voisins s’écrivent des messages de réconfort par terre, sur les trottoirs. De nouveaux rituels de soin d’autrui et
de reconnaissance sont créés pour donner du sens et de la cohérence
aux incertitudes que nous partageons.
Chaque jour, le
stress, la peur, l’isolement et le chamboulement actuel mettent en
lumière ce qui importe le plus. C’est parfois difficile à
regarder en face. La dévastation que représentent l’inégalité
économique et l’accès inégalitaire aux soins de santé est
partout évidente. En même temps, nous réfléchissons à ce qui
compte vraiment pour nous, à ceux que nous aimons et à ceux qui
nous aiment, aux communautés auxquelles nous appartenons et à ce
que nous voulons devenir pendant le temps qui nous reste à vivre. Ce
sont des questions essentielles dans cette vie, et nous nous les
posons actuellement à grande échelle.
2. Les moyens
d’exercice habituels de la religion disparaissent. Le Vendredi
Saint, des musiciens en combinaison de protection ont joué au milieu
des ruines de Notre Dame pendant que l’archevêque de Paris disait
la messe et élevait l’hostie, mais aucun paroissien n’était
présent et ceux qui regardaient n’ont pas pu participer à la
communion. Le fil de la vie sacramentelle est cassé.
Ailleurs, des
rabbins se tiennent, seuls, au milieu de leurs synagogues pour donner
leur méditation via les médias sociaux. Sans les communautés et
sans les échanges liturgiques qui mêlent le temps, l’espace, le
texte et la musique, des dimensions vitales du sens sont absentes.
Les récipients pour la quête restent vides. Les lieux de culte sont
fermés.
La désertion des
lieux de culte et les communautés qui vont s’amenuisant n’ont
pas attendu le Covid. Déjà affaiblies par des années de déclin
financier, presque toutes les confessions s’efforcent de trouver
des moyens pour continuer à communiquer leur message. Les dogmes,
les hiérarchies et les liturgies qui soutiennent l’infrastructure
religieuse au travers du temps ont du mal à s’adapter à des
changements rapides. Le Covid n’a pas créé ces conditions, mais
les bouleversements dans le tissu social et les dommages économiques
ne feront qu’accélérer les dégâts subis par les fondations
précaires de ces systèmes religieux.
3. La communauté
peut se vivre chez soi. Le dimanche après-midi, des chorales virtuelles se réunissent pour chanter.
Des chefs de chœur à Brooklyn (New York) proposent des mélodies à
chanter ensemble, chacun confiné chez soi, avec des centaines
d’autres partout dans le monde.
Des jeunes qui ont partagé des
camps d’été se retrouvent pour partager des repas de shabbat,
chacun chez soi. Des collègues échangent des idées pour prendre
soin de soi.
Ces efforts, et bien
d’autres, sont locaux (et parfois si locaux qu’il n’y a guère
qu’une personne localement chez ceux qui vivent seuls) mais ils
sont aussi transversaux et ils mettent en lien des gens par-delà des
distances importantes. Libérés des limitations des rencontres en
personne, nous apprenons que des communautés pleines de sens peuvent
s’implanter chez soi.
4. Le leadership
religieux se dé-professionnalise. Avec la sécularisation croissante de nos sociétés, des projets ont été entrepris par des jeunes
(ceux que l’on appelle les Millenials et ceux de la Génération Z)
pour créer des communautés nouvelles en remplissant le vide laissé
par les religions établies et autres institutions sociales. Ces
communautés, le plus souvent, existent sans la bénédiction de ces
religions et institutions. Peu de leurs leaders ont été ordonnés
ou reconnus ou même formés.
Le Covid favorise
l’arrivée de nouveaux leaders qui créent de nouvelles formes de
communauté et proposent des pratiques spirituelles : tout comme
des gens ordinaires proposent des séances de méditation sur
Instagram Live, des laïcs proposent des temps de culte quotidiens et
des membres de familles en deuil conduisent des cérémonies
d’obsèques. Cette dé-professionnalisation s’accompagne d’une
évolution des rôles au moment où les valeurs du monde du travail
semblent s’adoucir, où des chefs d’entreprise envoient des
lettres pastorales et où n’importe qui, muni d’un appareil
numérique, peut créer une communauté.
5. Les relations
virtuelles peuvent s’avérer étonnamment pleines de sens. Juste
après l’édiction des consignes de confinement, Sacred Design Lab
a commencé à proposer des temps de culte « familiaux »
chaque semaine. Cinquante personnes de tous les horizons, de
religions différentes, de tout âge, dans des configurations
familiales différentes et différents niveaux d’accès à internet
ont commencé à partager des temps interreligieux d’une trentaine
de minutes avec de la musique, des textes et des moments de partage
en petits groupes. La plupart ne s’étaient jamais rencontrés dans
la vraie vie. Ceux qui n’avaient jamais utilisé Zoom ni partagé
dans un petit groupe ont été surpris de découvrir la profondeur
des échanges et combien la présence peut survivre dans un espace
virtuel.
Le Covid est en
train d’apprendre à des gens toujours plus nombreux que le lien
virtuel peut avoir du sens lorsque nous prenons soin de mettre en
place des repères dans le temps et dans les intentions énoncées,
lorsque nous demandons aux gens de se pencher sur des questions
importantes en ce moment. Le monde religieux traditionnel a été
particulièrement lent à s’adapter aux environnements virtuels,
mais beaucoup de ce que les humains y ont appris peut s’y
développer : comment donner forme à des questions profondes,
comment créer des environnements qui favorisent la réflexion et
comment inviter au partage.
Le Covid va sans
doute accélérer l’affaiblissement des institutions religieuses
traditionnelles et des pratiques sur lesquelles les générations
précédentes se sont appuyées pour y trouver des réponses. Mais le
virus met également au jour de nouvelles façons de trouver du sens
et de se rattacher à une communauté au cœur de notre monde blessé.
Que cela nous soit
donné !