Article de C. Christopher Smith (« Churches Should Think Twice Before Webcasting Their Worship Services ») du 19 mars 2020 sur son site, traduction Pascale Renaud-Grosbras
Photo Philippe Baumgart
La
pandémie de coronavirus s’est propagée rapidement à travers le
monde, obligeant à restreindre les rassemblements et même, en
certains lieux, à les supprimer complètement, ce qui a forcé les
Églises à prendre des décisions dans l’urgence quant à leur
usage des nouvelles technologies pour permettre à leurs communautés
de rester en lien malgré la distanciation sociale. Beaucoup ont fait
le choix de diffuser leur culte en direct sur Facebook Live ou une
plateforme équivalente. Étant donné l’évolution rapide des
circonstances, je ne reproche pas aux Églises d’avoir fait ce
choix (ma propre Église est en train de se préparer à le faire à
partir de dimanche prochain), mais il me semble utile de faire une
pause et de réfléchir :
Qu’est-ce
qu’un culte ? Qu’est-ce qui est vraiment nécessaire dans un
culte ? Et quels outils technologiques sont-ils les mieux à
même de nous permettre de créer un espace où notre louange peut
s’épanouir ?
Toutes
les Églises devraient se poser ces questions au cours des semaines
qui viennent. Elles vont devoir discerner comment continuer le chemin
qu’elles auront ainsi entamé. J’ai travaillé dans le milieu de
l’informatique pendant plus de dix ans et j’ai eu l’occasion
d’aborder longuement ces questions (j’en ai creusé certaines
dans mon dernier livre, How
the Body of Christ Talks: Recovering the Practice of Conversation in
the Church),
et j’aimerais proposer ici quelques réflexions pour aider les
Églises à exercer leur discernement à propos des nouvelles
technologies et du format à donner à leurs célébrations dans les
semaines à venir.
Il
me semble qu’un culte est destiné à favoriser une participation
aussi incarnée que possible pour toutes les personnes présentes.
(Ou, pour le dire autrement, un culte n’est pas supposé être un
produit religieux à consommer passivement). Nous partageons un culte
lorsque nous pouvons unir nos voix dans le chant et dans la prière
et lorsque nous mangeons et buvons le corps et le sang du Christ
ensemble. Voyez par exemple ce que dit l’apôtre Paul lorsqu’il
conseille l’Église de Corinthe en 1 Co 14 (la totalité du
chapitre vaut d’ailleurs le coup d’être lue puisqu’il décrit
la réalité d’une Église au culte par
trop
interactif et chaotique, mais le cœur du chapitre se situe aux
versets 26 à 33) :
26Que
faire alors, frères ? Quand vous êtes réunis, chacun de vous peut
chanter un cantique, apporter un enseignement ou une révélation,
parler en langues ou bien interpréter : que tout se fasse pour
l’édification commune. 27Parle-t-on en langues ? Que deux le
fassent, trois au plus, et l’un après l’autre ; et que quelqu’un
interprète. 28S’il n’y a pas d’interprète, que le frère se
taise dans l’assemblée, qu’il se parle à lui-même et à Dieu.
29Quant aux prophéties, que deux ou trois prennent la parole et que
les autres jugent. 30Si un assistant reçoit une révélation, celui
qui parle doit se taire. 31Vous pouvez tous prophétiser, mais chacun
à son tour, pour que tout le monde soit instruit et encouragé. 32Le
prophète est maître de l’esprit prophétique qui l’anime. 33Car
Dieu n’est pas un Dieu de désordre, mais un Dieu de paix. (TOB)
Paul
semble présupposer que les membres de l’Église viennent au culte
préparés à y participer. Il semble que l’interactivité divine
représentée par la Trinité soit un modèle pour le genre de
communauté qui rend un juste culte : être ensemble, se parler,
faire attention à tous les membres du corps ainsi rassemblé.
Souvenons-nous des paroles de Jésus : « Car, là où deux
ou trois se trouvent réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux »
(Mt 18,20 TOB). Si nous considérons le contexte de ce passage en Mt
18, nous constatons qu’il s’agit de péché et de pardon :
aussi, Dieu se rend présent à nous lorsque nous sommes présents
les uns aux autres par la conversation. J’entends la conversation
au sens large, c’est-à-dire non seulement les mots que nous
partageons, mais la communion incarnée dans nos mots, nos émotions,
notre communication non-verbale, etc. : lorsque nous sommes
présents les uns aux autres).
Quelle
conclusion en tirer à propos de notre usage des outils
technologiques pendant la présente pandémie ?
-
Tous les moyens technologiques ne se valent pas. Certes, nous ne pouvons pas être physiquement présents les uns aux autres en ce moment, mais certains outils permettent de se rendre plus présents que d’autres. Les vidéoconférences (Zoom, Google Hangouts…) où tous les participants peuvent se voir et s’entendre favorisent la présence et la participation bien mieux que les plateformes de webdiffusion (Facebook Live…) destinées à une consommation passive. Les outils audio (conférences téléphoniques) ne permettent pas une participation aussi intense que les conférences vidéo, mais ils engendrent une passivité moindre. Même Facebook Live, qui permet de commenter en temps réel, permet ainsi de participer un petit peu plus que d’autres plateformes ; cela reste néanmoins très proche du pôle « passif », bien plus que les conférences vidéos.
-
Les Églises (surtout les plus grandes) devront peut-être mettre en œuvre plusieurs outils différents. Les cultes dominicaux pourraient ainsi être diffusés en direct tandis que de petits groupes pourraient se maintenir grâce aux vidéoconférences qui permettent de se rendre présents les uns aux autres. Les Églises pourraient fournir de la documentation sur la manière de célébrer en petits groupes, avec une liturgie, des prières et des cantiques, des passages bibliques à lire pour en discuter ensuite, et des idées pour encourager l’édification mutuelle en partageant ce qui se passe dans nos vies (nous en avons un cuisant besoin pendant ces jours chaotiques). Notre Église a ainsi mis en place un rendez-vous via Zoom tous les soirs à 20h pour tous les membres de la communauté qui le souhaitent, pour prier ensemble et partager.
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Rendre un culte est une expérience holistique qui ne se limite pas aux « moments de culte ». Les outils de vidéoconférence peuvent être une vraie chance pour permettre aux Églises d’entretenir les échanges et le soin mutuel dans la communauté et avec ceux qui nous entourent dans la réalité quotidienne de ce nouveau monde. Encore une fois, le but du culte est d’être présents les uns aux autres ; nous, en tant qu’Églises confrontées aux restrictions que nous connaissons, avons pour double tâche d’encourager tous nos membres à l’imagination et de leur donner les ressources nécessaires.
Pourquoi
une telle distinction est-elle nécessaire ?
On
le sait, le théoricien de la communication Marshall McLuhan a fait
observer que « le média est le message », ajoutant que
le contenu du média nous aveugle souvent quant à son caractère
propre. En d’autres termes, si nous choisissons un média qui
favorise la consommation passive, nous serons à plus ou moins longue
échéance transformés en consommateurs passifs. Cependant, si nous
choisissons un média qui nous permet d’être plus présents et de
participer ensemble, les uns avec les autres, alors nous nous
transformerons en participants actifs à la mission inhérente à
l’Évangile, qui consiste à guérir et réparer la Création.
C’est
une occasion unique qui nous est offerte ! La
réalité de cette pandémie nous oblige à faire face à des
questions nouvelles. A vrai dire, beaucoup de nos cultes avant la
pandémie tendaient à une consommation passive, mais cette réalité
a été bouleversée par le coronavirus, ce qui nous ouvre la
possibilité nouvelle d’imaginer une forme de culte plus
participative et plus juste.
Photo Philippe Baumgart
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